lundi 24 novembre 2014

Mue



Une immense feuille de papier recouvre l’espace dans lequel va se jouer la performance. Le danseur, Aniol Busquets Julià, se tient au bord de celle-ci. Il se glisse sous elle et c’est alors que prennent forme des paysages, qu’il crée par le dessous. Vague, banquise qui se craquelle, draps froissés par l’amour, chrysalide ou volcan en éruption, le papier est une page blanche pour l’imaginaire du spectateur. Comme lorsque l’on observe les nuages, chacun se construit sa propre perception. Mieux : le dispositif est tel qu’il n’évoquera jamais deux fois la même chose à un spectateur identique, puisque la feuille réagira toujours de façons différentes. Cette pièce chorégraphique, à mi-chemin entre les arts visuels et la danse contemporaine, est née de l’imagination de Thibaud Le Maguer, un peu par hasard. Il travaillait sur la relation à l’autre et avait l’idée de projeter des ombres. Pour cela, il avait rempli un espace de papier. « J’en avais accroché aux murs, au plafond… Je me demandais comment mettre en scène mon absence. Et puis, un jour, j’ai décroché tout ce papier, qui s’est retrouvé à terre… Je suis allé sous la feuille, j’ai fait une improvisation et là, le miracle s’est produit. » Le propos de la pièce repose sur la retranscription d’une conférence du philosophe Jean-Luc Nancy, intitulée Partir – Le Départ. « Jean-Luc Nancy nous explique qu’il n’y a que les humains qui partent. On pourrait penser que certains animaux, les oiseaux migrateurs par exemple, partent. Mais en fait, ils ne font que s’en aller. Ils reviennent toujours à l’endroit d’où ils sont. Alors que les humains, eux, partent, se séparent, laissent derrière eux une trace d’eux-mêmes pour aller ailleurs. » Tout le projet s’articule autour de la question de la séparation. Ainsi, par ses gestes, le danseur tend à se séparer avec douceur de l’enveloppe de papier, tandis qu’il laisse sur celle-ci la trace de son passage. 


PAYSAGE DE LA DISPARITION
le 19 décembre 2014 à l’Arsenal, à Metz

Texte Stéphanie Linsingh / Photo Thibaud Le Maguer 

À lire dans le magazine NOVO n°32

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