Sur scène, une salle de répétition théâtrale. Côté cour : un miroir
en fond (qui ne trouvera aucune utilité), une table, cinq chaises et une
caméra braquée sur un divan. Côté jardin : un plateau blanc laqué et
une seconde caméra. Quatre comédiens et leur metteur en scène arrivent
au compte-goutte, leurs incertitudes en bandoulière et le micro bruyant.
À la recherche d’une pièce transcendante et à court d’imagination, ils
discourent sur le théâtre, la création, l’improvisation. Leur jeu est
convenu et les dialogues relèvent plus de la déclamation que de
l’échange naturel . Seul Christophe Brault tire son épingle du jeu. Ceci
dit, les avis évoqués ne sont pas dénués d'intérêt. « C’est le réel qui
intéresse les gens », « On est tous des personnages », « Faire paraître
vrai ce qui ne l’est pas n’est que folie ».
Tombant à pic, six personnages entrent alors dans la salle de
répétition. Abandonnés par leur auteur, ils sont à la recherche d’un
directeur et désirent plus que tout que la troupe incarne leurs rôles
pour se sentir accomplis. Cela tombe bien pour la compagnie théâtrale ;
l’histoire qu’elle cherchait lui tombe dans le bec, et c’est en quelque
sorte du réel (le texte de Pirandello affirme d’ailleurs que les
personnages sont plus réels puisque la réalité des gens peut varier de
jour en jour, à l’inverse de celle des personnages qui est fixée pour
toujours). Psychodrame familial : une femme quitte son mari pour un
autre homme, entraînant sa fille avec elle. Le garçon du couple est
placé chez une nourrice. La mère a deux autres enfants, un petit garçon
et une fillette, avec son amant, avant qu’il ne les quitte. Les
personnages sont partiaux, parce qu’ils ont été créés comme ça.
Inachevés car abandonnés par leur auteur, ils sont sans nuance. Cela
peut agacer, mais cela se tient.
Le metteur en scène convaincu par leur histoire, commencent les
répétitions. Les comédiens filment les personnages pour recopier leurs
comportements. Sur le mur blanc du plateau, les images filmées sont
projetées directement. Les interprétations exagérées et loufoques font
rire le public. La pièce prend enfin son envol. L’humour et l’intrigue
prennent le pas sur le cérébral et la platitude. L’utilisation du
plateau, même si elle reste réduite, devient plus enthousiasmante ; elle
permet une belle mise en relief des personnages. L’histoire de la
famille se dessine de plus en plus jusqu’à la découverte de la cause du
mutisme du petit garçon et du deuil de la mère. Le dénouement est
convaincant ; il permet de comprendre les comportements de chacun des
personnages, la révolte de la jeune fille, l’énervement et la distance
du jeune homme, la honte du père, la détresse de la mère… La vérité
éclate, brusquement, comme si les personnages, ne connaissant que leur
version des faits, apprenaient seulement l’histoire globale.
On peut regretter que la pièce se termine par une chute qui en a
laissé perplexe plus d’un, au lieu de se tenir à cette réflexion en
filigrane. Mais pour une pièce sur une pièce, il fallait sans doute
tenter un coup de théâtre.
SIX PERSONNAGES EN QUÊTE D'AUTEUR (DE LUIGI PIRANDELLO, MISE EN SCENE DE STEPHANE BRAUNSCHWEIG),
théâtre du 9 au 19 juillet, au Cloître des Carmes, à l'occasion du Festival d'Avignon
Texte Stéphanie Linsingh / Photos Christophe Raynaud de Lage
Critique
rédigée dans le cadre de la formation à la critique théâtrale mise sur
pied par l’Université de Liège et le Théâtre de la Place. Retrouvez ce
papier et celui des autres jeunes critiques sur le blog théâtre du Soir,
tenu par le journaliste Jean-Marie Wynants : http://blog.lesoir.be/entractes/