Troy Von Balthazar, artiste à fleur
de peau, a sillonné l’Europe avec son dernier opus …is with the demon, un album à la noirceur éblouissante. Nous avons
rencontré l’Hawaïen au Fiacre, à Liège. Une tasse de thé à la cassonade et il
se livrait à nous avec une sincérité des plus touchantes.
TVB avant son concert au Fiacre (Liège) / Le lendemain du
concert au Botanique (Bruxelles)
Entre les premières parties de Nirvana avec Chokebore et vos concerts en solo dans de
petites salles, vous faites en quelque sorte le grand écart. Vous avez raconté
avoir vécu dans votre voiture. Qu’en est-il de votre vie aujourd’hui ?
Aujourd’hui, j’ai beaucoup
de musique en moi, je suis donc heureux intérieurement. A l’extérieur, c’est
une autre histoire… [rires] En dehors de ma vie musicale, je ne suis pas aussi
satisfait. Je ne vis pas vraiment de ma musique, mais ça vaut le coup car j’y
prends du plaisir et j’y pense chaque jour, toute la journée. J’ai donc décidé
que ça en valait la peine. Je préfère faire de la musique, être libre, faire
des tournées, qu’avoir une nouvelle voiture ou aller au cinéma chaque week-end.
Il y a une grande part d’autobiographie
dans vos morceaux. Vos paroles sont sombres, elles parlent de nostalgie, de
regret, d’alcool, de pauvreté…
Lors
de chaque journée, j’ai des moments de profonde tristesse, comme je peux
ressentir de vrais instants de béatitude. Cela dépend de ce que je fais, de ce
qui m’entoure et de la chimie de mon cerveau… De manière générale, je ne pense
pas être une personne extrêmement triste, mais je n’ai pas peur d’explorer
cette part de moi-même.
La dernière fois que je
vous ai vu, vous aviez écrit « Music is like love » sur la pochette
de votre CD. Mais quand on lit vos interviews, on a l’impression que c’est plus
que cela, que vous auriez pu dire « Music is love », non ?
Oui,
certainement, l’amour est temporaire et illusoire, tout comme la musique. Vous
ne pouvez jamais l’attraper ; je n’arrive jamais à écrire la chanson
parfaite, je compose un morceau qui est presque comme je l’aimerais. Je ne suis
jamais satisfait. J’espère un jour écrire une très très belle chanson, c’est
mon but.
Vous n’êtes pas fier de vos
morceaux ?
Il
y a deux nuits, j’étais allongé sur mon lit, j’essayais de dormir et pour la
première fois je me suis dit : « Je devrais être fier de mes
chansons, je devrais être fier de moi ». Je n’y avais jamais pensé
auparavant. Imaginez, c’est comme si j’étais mon propre cheval : je me
traite mal, je me force à travailler jusqu’à l’épuisement… Je réalise que je ne
devrais pas m’infliger ça. Si j’avais vraiment un cheval, je ne lui ferais
jamais ça car j’y tiendrais. Je serais sympa avec lui, je le ferais travailler
des heures raisonnables, il pourrait se reposer, je lui donnerais de la bonne
nourriture et je lui dirais qu’il est un bon cheval, parce que je suis sûr que
je l’aimerais. C’est en faisant cette analogie que je me suis rendu compte que
j’étais vraiment dur envers moi-même.
Vos instruments récupérés,
faits de bric et de broc, font que votre style est reconnaissable entre mille.
Je
suppose que toutes les idées viennent du désir d’écrire quelque chose d’intéressant
pour moi-même, pour ne pas être ennuyé par ma propre musique. J’aime essayer de
nouvelles choses. Je suis honnête dans ma musique, c’est pourquoi cela sonne
comme moi et moi seul. Je ne veux pas que ma musique rappelle celle de quelqu’un
d’autre. Si vous entendez quelque chose dans mes morceaux qui sonnent un peu
comme quelque chose d’autre, c’est moi faisant une erreur.
Préférez-vous travailler
seul ou en groupe, comme avec Chokebore ou The Black Pine, lors d’une tournée ?
Ça
dépend… Quand tu joues avec un groupe, tu es avec tes amis et tu te sens plus détendu.
Mais si, un soir, le batteur est fatigué, le concert peut en pâtir ; tu dépends
des autres musiciens... Quand tu joues seul, tout le monde te regarde, cela te
rend très nerveux, mais ça augmente les frissons et l'intensité chaque soir. Il
me semble que c'est ce que je préfère dans tout cela. Dans ma vie de tous les
jours, je n’aime pas que les gens me regardent – je ne suis pas une personne très
sociable –, aux fêtes, je ne danse pas devant les gens, mais lors les concerts,
je me retrouve subitement debout sur la scène avec le public qui me fixe, c’est
comme si je faisais des montagnes russes : je me sens effrayé et en même temps
très excité.
En marge de vos albums,
vous avez composé des musiques
de films, vous écrivez des livres. Est-ce une envie d’ailleurs ?
J’ai
pris beaucoup de plaisir à réaliser ces musiques de films. C’était un défi,
mais j’ai trouvé cela très naturel. Je pourrais faire ça tous les jours. C’était
très facile pour moi, je n’ai rencontré aucun problème. En ce qui concerne les
livres, c’est l’inverse, c’est très pénible à écrire.
Parce que c’est une grande
part de vous-même ?
Oui,
parce que c’est très personnel.
C’est vrai, on dirait
presque un journal intime…
En
quelque sorte, oui. C’est très intime et c’est donc très difficile. Mais si je
fais tout cela — la musique, les albums, la musique de film —, c’est
uniquement pour justifier mon existence. J’ai besoin de savoir qu’il y a une
raison pour laquelle j’existe, je veux me justifier de respirer autant d’air, j’ai
besoin de donner quelque chose en retour.
Et quels sont vos projets
pour les prochains mois ?
J’essaie
d’écrire un roman. Je vais me concentrer sur ça. Et je suis impatient de
commencer à écrire mon prochain album. Je vais m’y mettre dès la fin de cette
tournée.
Un roman et un album ?
Si
je ne suis pas occupé, je m’ennuie et je me sens inutile. Comme je l’ai dit, j’ai
un désir de justifier mon existence. Pour le prochain album, j’ai vraiment
envie de puiser plus profondément en moi et dans ma musique.
Mais j’ai lu quelque part
qu’un roman vous effrayait…
C’était
le cas jusqu’à ce que j’écrive ce dernier recueil de poésie. Quand je l’ai fini
et que j’ai vu le résultat entre mes mains, je me suis dit : « Ok, maintenant,
fini la poésie, je veux quelque chose de plus grand. »
Vous ne craigniez pas d’être
insatisfait de vos premières pages ?
Si…
[rires]. Mais c’est normal, c’est pareil avec les albums. Quand je finis un
disque, c’est à ce moment que je me dis que j’aurais dû changer ceci et ne pas
changer cela. Je l’entends enfin distinctement et j’ai envie de tout changer.
Mais c’est une bonne chose d’être obligé d’arrêter de modifier les choses.
Vous pouvez changer
certains détails pour les concerts…
Oui,
durant les concerts, on peut changer des choses. C’est d’ailleurs ce que je
fais, je modifie mes morceaux pour le live. En général, en tournée, j’effectue
les changements en répétitions, beaucoup de choses bougent, mais j’en fais
quelque chose de solide. Puis, j’emmène ce solide avec moi sur la route car j’aime
savoir où va une chanson, comment elle se termine...
Dernier album : ...is with the demon, Vicious Circle
(2012)
Texte
& photos Stéphanie Linsingh
A
lire dans le magazine NOVO n°25