lundi 15 juillet 2013

I am the tiger, you are the pigeon


Troy Von Balthazar, artiste à fleur de peau, a sillonné l’Europe avec son dernier opus …is with the demon, un album à la noirceur éblouissante. Nous avons rencontré l’Hawaïen au Fiacre, à Liège. Une tasse de thé à la cassonade et il se livrait à nous avec une sincérité des plus touchantes. 
 
 
TVB avant son concert au Fiacre (Liège) / Le lendemain du concert au Botanique (Bruxelles)

Entre les premières parties de Nirvana avec Chokebore et vos concerts en solo dans de petites salles, vous faites en quelque sorte le grand écart. Vous avez raconté avoir vécu dans votre voiture. Qu’en est-il de votre vie aujourd’hui ?
Aujourd’hui, j’ai beaucoup de musique en moi, je suis donc heureux intérieurement. A l’extérieur, c’est une autre histoire… [rires] En dehors de ma vie musicale, je ne suis pas aussi satisfait. Je ne vis pas vraiment de ma musique, mais ça vaut le coup car j’y prends du plaisir et j’y pense chaque jour, toute la journée. J’ai donc décidé que ça en valait la peine. Je préfère faire de la musique, être libre, faire des tournées, qu’avoir une nouvelle voiture ou aller au cinéma chaque week-end.

Il y a une grande part d’autobiographie dans vos morceaux. Vos paroles sont sombres, elles parlent de nostalgie, de regret, d’alcool, de pauvreté…
Lors de chaque journée, j’ai des moments de profonde tristesse, comme je peux ressentir de vrais instants de béatitude. Cela dépend de ce que je fais, de ce qui m’entoure et de la chimie de mon cerveau… De manière générale, je ne pense pas être une personne extrêmement triste, mais je n’ai pas peur d’explorer cette part de moi-même.

Setlist du concert du 07/11/2012 à la Maison des Musiques (Bruxelles)

La dernière fois que je vous ai vu, vous aviez écrit « Music is like love » sur la pochette de votre CD. Mais quand on lit vos interviews, on a l’impression que c’est plus que cela, que vous auriez pu dire « Music is love », non ?
Oui, certainement, l’amour est temporaire et illusoire, tout comme la musique. Vous ne pouvez jamais l’attraper ; je n’arrive jamais à écrire la chanson parfaite, je compose un morceau qui est presque comme je l’aimerais. Je ne suis jamais satisfait. J’espère un jour écrire une très très belle chanson, c’est mon but.

Vous n’êtes pas fier de vos morceaux ?
Il y a deux nuits, j’étais allongé sur mon lit, j’essayais de dormir et pour la première fois je me suis dit : « Je devrais être fier de mes chansons, je devrais être fier de moi ». Je n’y avais jamais pensé auparavant. Imaginez, c’est comme si j’étais mon propre cheval : je me traite mal, je me force à travailler jusqu’à l’épuisement… Je réalise que je ne devrais pas m’infliger ça. Si j’avais vraiment un cheval, je ne lui ferais jamais ça car j’y tiendrais. Je serais sympa avec lui, je le ferais travailler des heures raisonnables, il pourrait se reposer, je lui donnerais de la bonne nourriture et je lui dirais qu’il est un bon cheval, parce que je suis sûr que je l’aimerais. C’est en faisant cette analogie que je me suis rendu compte que j’étais vraiment dur envers moi-même.

Vos instruments récupérés, faits de bric et de broc, font que votre style est reconnaissable entre mille.
Je suppose que toutes les idées viennent du désir d’écrire quelque chose d’intéressant pour moi-même, pour ne pas être ennuyé par ma propre musique. J’aime essayer de nouvelles choses. Je suis honnête dans ma musique, c’est pourquoi cela sonne comme moi et moi seul. Je ne veux pas que ma musique rappelle celle de quelqu’un d’autre. Si vous entendez quelque chose dans mes morceaux qui sonnent un peu comme quelque chose d’autre, c’est moi faisant une erreur.

Concert du 04/04/2013 au Fiacre (Liège)

Préférez-vous travailler seul ou en groupe, comme avec Chokebore ou The Black Pine, lors d’une tournée ?
Ça dépend… Quand tu joues avec un groupe, tu es avec tes amis et tu te sens plus détendu. Mais si, un soir, le batteur est fatigué, le concert peut en pâtir ; tu dépends des autres musiciens... Quand tu joues seul, tout le monde te regarde, cela te rend très nerveux, mais ça augmente les frissons et l'intensité chaque soir. Il me semble que c'est ce que je préfère dans tout cela. Dans ma vie de tous les jours, je n’aime pas que les gens me regardent – je ne suis pas une personne très sociable –, aux fêtes, je ne danse pas devant les gens, mais lors les concerts, je me retrouve subitement debout sur la scène avec le public qui me fixe, c’est comme si je faisais des montagnes russes : je me sens effrayé et en même temps très excité.

En marge de vos albums, vous avez composé des musiques de films, vous écrivez des livres. Est-ce une envie d’ailleurs ?
J’ai pris beaucoup de plaisir à réaliser ces musiques de films. C’était un défi, mais j’ai trouvé cela très naturel. Je pourrais faire ça tous les jours. C’était très facile pour moi, je n’ai rencontré aucun problème. En ce qui concerne les livres, c’est l’inverse, c’est très pénible à écrire.

Parce que c’est une grande part de vous-même ?
Oui, parce que c’est très personnel.

C’est vrai, on dirait presque un journal intime…
En quelque sorte, oui. C’est très intime et c’est donc très difficile. Mais si je fais tout cela ­— la musique, les albums, la musique de film —, c’est uniquement pour justifier mon existence. J’ai besoin de savoir qu’il y a une raison pour laquelle j’existe, je veux me justifier de respirer autant d’air, j’ai besoin  de donner quelque chose en retour.

Showcase acoustique et lecture de poèmes, le 03/05/2013 à la librairie Tropismes (Bruxelles)

Et quels sont vos projets pour les prochains mois ?
J’essaie d’écrire un roman. Je vais me concentrer sur ça. Et je suis impatient de commencer à écrire mon prochain album. Je vais m’y mettre dès la fin de cette tournée.

Un roman et un album ?
Si je ne suis pas occupé, je m’ennuie et je me sens inutile. Comme je l’ai dit, j’ai un désir de justifier mon existence. Pour le prochain album, j’ai vraiment envie de puiser plus profondément en moi et dans ma musique.

Mais j’ai lu quelque part qu’un roman vous effrayait…
C’était le cas jusqu’à ce que j’écrive ce dernier recueil de poésie. Quand je l’ai fini et que j’ai vu le résultat entre mes mains, je me suis dit : « Ok, maintenant, fini la poésie, je veux quelque chose de plus grand. »

Vous ne craigniez pas d’être insatisfait de vos premières pages ?
Si… [rires]. Mais c’est normal, c’est pareil avec les albums. Quand je finis un disque, c’est à ce moment que je me dis que j’aurais dû changer ceci et ne pas changer cela. Je l’entends enfin distinctement et j’ai envie de tout changer. Mais c’est une bonne chose d’être obligé d’arrêter de modifier les choses.

Vous pouvez changer certains détails pour les concerts…
Oui, durant les concerts, on peut changer des choses. C’est d’ailleurs ce que je fais, je modifie mes morceaux pour le live. En général, en tournée, j’effectue les changements en répétitions, beaucoup de choses bougent, mais j’en fais quelque chose de solide. Puis, j’emmène ce solide avec moi sur la route car j’aime savoir où va une chanson, comment elle se termine...

Dernier album : ...is with the demon, Vicious Circle (2012)

Texte & photos Stéphanie Linsingh
A lire dans le magazine NOVO n°25

mercredi 3 avril 2013

Les gardiennes de porcelaine

In The Upper Room est une combinaison de deux mondes, de deux esthétiques : celle de la danse moderne et celle du ballet classique. L’œuvre s’ouvre sur deux femmes, nimbées de fumée, pointes et chaussettes rouges aux pieds, rappelant les chiens de garde en porcelaine des temples chinois. Il n’y a pas de narration à proprement parler dans le ballet de Twyla Tharp, juste des suggestions. Eprise de l’œuvre, Stacy Caddell nous parle de son travail avec la chorégraphe dont elle remonte la création.



Dès les années 80, vous avez travaillé avec Twyla Tharp. Comment vos routes se sont-elles croisées et quelle relation avez-vous désormais ave elle ?
Nous nous sommes rencontrées lorsque j’étais au New York City Ballet. Jerome Robbins [ndlr. : le directeur adjoint et maître de ballet] l’avait invitée pour une collaboration autour du ballet Brahms/Handel. Ils ont créé beaucoup de variations très intéressantes sur ce thème. C’est à partir de cet instant que nous avons commencé à travailler ensemble. Quelques années plus tard, j’ai quitté le New York City Ballet et je suis allée travailler avec elle. Nous avons tourné avec Barychnikov, travaillé sur un film, réalisé différents projets… Bien que notre relation soit essentiellement professionnelle, je me sens très proche de Twyla. C’est une personne hors du commun.

Comment décririez-vous son travail et le vôtre ?
Son œuvre est difficile à décrire, tant elle a travaillé sur de multiples supports. Elle a conçu des chorégraphies pour la télévision et le cinéma, ainsi que pour la scène. Son travail est basé sur le processus ; chaque jour être au studio, créer, construire… Elle se voue entièrement à son art. C’est une personne très intéressante, incroyablement intelligente. Elle est fascinante. Quant à moi, je ne suis pas chorégraphe. J’ai créé quelques pièces, mais je ne me considère pas comme une chorégraphe. Je suis davantage une répétitrice, je monte des ballets. Quand quelqu’un souhaite programmer un ballet, il engage une personne de ma profession pour venir enseigner la chorégraphie aux danseurs et obtenir une production prête pour la scène.

Comment est-ce de remonter un ballet d’une personne avec qui on a étroitement collaboré ?
Au début, j’étais très nerveuse, je voulais juste faire les choses correctement. Mais Twyla m’a soutenue, me rappelant que j’avais travaillé avec Balanchine et Jerome Robbins et elle m’a encouragée à suivre mon instinct. Lorsque j’ai commencé la mise en scène, elle m’a guidée et m’a conseillé de relâcher le contrôle, de laisser expérimenter les danseurs. Pour moi, ça a été une grande étape de les laisser prendre possession de l’œuvre ; à un moment donné, il faut les laisser trouver leur voie. Elle m’a appris à diriger et elle continue à être un professeur et un guide pour moi.

Quelle est la chose la plus enthousiasmante dans In The Upper Room selon vous ?
Je pense sincèrement que ce ballet est un chef-d’œuvre. La chorégraphie est fantastique, la musique de Philipp Glass est merveilleuse, les costumes de Norma Kamali sont beaux, les lumières de Jennifer Tipton sont atmosphériques… La combinaison est parfaite ! Selon moi, c’est aussi extraordinaire de voir ce ballet que de le danser. Il dure 40 minutes et il y a tellement de niveaux physiques à franchir, qu’en tant que danseur, on ressent un sentiment d’accomplissement ; c’est comme courir un marathon et franchir la ligne d’arrivée. C’est merveilleux d’assister à cela en tant que membre du public.


(Un aperçu d'une prestation précédente ICI.)


In The Upper Room,
danse du 4 au 7 avril 2013 au Ballet de Lorraine, à Nancy

Texte Stéphanie Linsingh / Photo M. Rousseau

A lire dans le magazine NOVO n°24

(Né) cécité

Tchaïkovski, uniquement auteur d’œuvres instrumentales ? Détrompez-vous. On lui doit tout de même dix opéras, dont Iolanta, son petit dernier.  Une création atypique, vu le répertoire du compositeur, à (re)découvrir à l’Opéra national de Lorraine.


Peut-on avoir envie d'une chose dont on ignore l'existence ? Pourquoi la vue nous manquerait-elle si nous pensons qu'il n'existe que quatre sens ? Qu'est-ce qui nous pousserait à voir... si ce n'est l'amour. C'est l'histoire de Iolanta. Née aveugle et surprotégée par son roi de père ; la réalité étouffée et réinventée, où les yeux ne servent qu'à pleurer. Au sein du royaume, nul n'a le droit de mentionner la lumière, les couleurs ou la vision. Mais Iolanta ressent un vide inexplicable, exprimé au début de l’acte unique dans un arioso émouvant. Le roi René, espérant remédier à l’infirmité de sa fille fait appel à un guérisseur maure, Ibn-Hakia. Et celui-ci d’annoncer au souverain, en un arioso d’inspiration orientale, que pour recouvrer la vue, Iolanta doit prendre conscience de son handicap et désirer guérir. Le roi écarte cette suggestion : révéler sa cécité à Iolanta pourrait l’anéantir. Pourtant, lorsque l’amour naîtra entre elle et un certain comte Vaudémont, sur un thème délicat en sol majeur, cette certitude sera ébranlée… Mais qu’est-ce qui pourrait motiver la jeune fille à voir ? Et que deviendrait son monde ? Tchaïkovsky a composé cet opéra aux allures de conte simultanément avec le ballet « Casse-noisette ». Comme toute fable, Iolanta possède plusieurs niveaux de lecture, une morale universelle, un symbolisme psychanalytique, le reflet d’une réalité.



iolanta,

opéra le 30 avril et les 2, 5, 7 et 9 mai 2013 à l’Opéra national de Lorraine, à Nancy


Texte Stéphanie Linsingh / Photo Rifail Ajdarpasic

A lire dans le magazine NOVO n°24