dimanche 18 mai 2014

Visages sous grimage


Avec Le Trouvère et La Traviata, Rigoletto fait partie de la triade de la maturité de Giuseppe Verdi. Le metteur en scène Robert Carsen s’est emparé de cette œuvre reprenant l’argument du Roi s’amuse de Victor Hugo pour la transposer dans l’univers du cirque. Une lecture futée, une scénographie éblouissante et une direction des artistes convaincante.  

Rigoletto à La Monnaie (© Bernd Uhlig)

Le thème de la malédiction en prélude nous glisse jusqu’au rire narquois de Rigoletto. Des lourds rideaux du théâtre, il surgit, grimé en clown sinistre. Antonyme du Pierrot – costume noir à la collerette blanche –, il brandit une poupée de silicone avant de rejoindre la piste. Le Duc de Mantoue, coureur de jupons invétéré, orchestre un spectacle de domptage dans lequel les félins sont des femmes dénudées. Alors qu’il participe aux excès du chapiteau, Rigoletto est loin de s’imaginer que le Duc a séduit Gilda, l’enfant qu’il protège maladivement. Car lorsqu’il ôte son masque, l’homme n’a plus rien du bouffon sardonique ; il est un père excessivement soucieux. Gilda est cloitrée dans sa roulotte et ne peut sortir que pour se rendre à l’église – où elle a rencontré le Duc et en est tombée amoureuse. 

Rigoletto à La Monnaie (© Bernd Uhlig)

L’œuvre de Verdi dénonce la domination masculine, tant sexuelle que patriarcale. Quand Rigoletto a vent de l’union entre sa fille et le Duc volage, il paie un tueur pour venger l’honneur de sa progéniture. Mais c’est Gilda qui mourra (lors d’un final grandiose – un numéro de tissu aérien, bref à juste raison et intense –) pour sauver celui dont elle est éprise.

Rigoletto à La Monnaie (© Bernd Uhlig)

Avec Rigoletto, Verdi a offert un bel équilibre entre musicalité et théâtralité. Les lignes vocales se fondent avec le texte du livret et épouse la musique de l’orchestre, mené par Carlo Rizzi. On retrouve bien sûr les incontournables « La donna è mobile » et « Duca, duca... », mais surtout de très beaux ensembles dramatiques, comme le quatuor et la tempête du dernier acte. Simona Šaturová est brillante dans le rôle de Gilda et on ne se lasse pas du talent du metteur en scène canadien. A la sortie de La Monnaie, les étoiles de la piste sont dans nos yeux et nos oreilles. 

RIGOLETTO, 

opéra du 8 au 23 mai 2014 à La Monnaie, à Bruxelles


Texte Stéphanie Linsingh / Photos Bernd Uhlig