vendredi 20 mai 2011

Audio Selecta


RADIOHEAD
The King Of Limbs – Ticker Tape Ltd.

Le génie malicieux de Radiohead s’est à nouveau manifesté fin février avec la sortie d’un album surprise. The King of Limbs déploie en 37 minutes huit chansons qui font la synthèse de tout ce qu’on a aimé chez les prodiges d’Oxford. À l’influence jazz du premier morceau, s’ajoute le souvenir des compositions de Thom Yorke en solo, complexes et imbriquées, entêtantes. Feral, comme une rupture après les guitares acoustiques de Little By Little, rappelle le diptyque Kid A/Amnesiac et amorce le premier single : Lotus Flower. S’en suivent les derniers titres, aux mélodies plus célestes et à l’obscure clarté. L’ensemble en fait un disque rythmé, hypnotique et étrangement gracieux, à l’image du chêne millénaire auquel le titre fait référence. (S.L.)



Texte Stéphanie Linsingh
A lire dans le magazine NOVO n°14

jeudi 19 mai 2011

Tran Anh Hung : le langage spécifique du cinéma




Récent coup de cœur : Norwegian Wood (La Ballade de l’Impossible) de Tran Anh Hung. Le 26 avril, à l’Hôtel Hannong, à Strasbourg, nous avons pu rencontrer le réalisateur. Au cœur de l’échange, la mélancolie, le langage cinématographique et une collaboration soutenue avec Jonny Greenwood, le guitariste de Radiohead.
mots&sons_Laballadedel'Impossible_TranAnhHung_3Vous avez adapté le roman de Haruki Murakami, Norwegian Wood (La Ballade de l’impossible). À la lecture, vous avez dit y avoir vu une forme cinématographique pleine de promesses sur la base d’un matériau spécifique.
Je crois que ce qui est important, c’est le sentiment d’intimité créé entre le livre et le lecteur. Avoir ce degré-là d’intimité avec un livre, c’est quelque chose qui ne m’était jamais arrivé avant. C’est comme si en quelque sorte, le livre me reconnaissait. Il y a certains livres qui sont tellement toxiques que vous avez cette sensation qu’il font remonter le poison contenu en vous, et ça jusqu’à l’étouffement. C’est probablement lié à sa façon d’écrire. Il a un mécanisme que je n’arrive pas vraiment à décrire, il n’aime pas les phrases brillantes ni la virtuosité ; il déplie patiemment les recoins de l’âme et on se demande jusqu’où il va aller. C’est quelque chose qui nous pénètre et éveille la noirceur qui est en vous. Ça, c’est vraiment merveilleux.
Vous vous imposez une forme de distance par rapport au récit même si de temps en temps la position du narrateur à la première personne apparaît. Pour le lecteur, la réaction n’est pas la même que pour le spectateur du film. Était-ce un parti pris dès le départ ?
Il y a plusieurs réponses à ça. D’abord, il y a l’idée d’une structure naturelle que donne le livre, c’est la construction en flash back. En faisant cela, le passé influe sur le présent. Or, dans le livre, il n’y a rien dans le présent, juste une voix. Il aurait fallu que j’invente des actions dans le présent, ce qui est absurde dans la mesure où le livre est déjà bien trop riche pour faire deux heures de film. Et cette construction-là, je ne l’aime pas, elle donne un rythme que le spectateur connaît trop bien. D’autre part, je voulais aussi montrer ce drame dans la fraîcheur de l’instant et de la blessure. Je voulais éviter avec ces allers-retours de donner plus un sentiment de nostalgie que de mélancolie. La nostalgie c’est en quelque sorte un bon souvenir du passé tandis que la mélancolie c’est la conscience soudaine qu’on a définitivement perdu quelque chose qu’on aurait dû vivre, et que cette occasion-là est manquée pour toujours. La mélancolie est beaucoup plus précieuse à mon goût. De là découle un sentiment extrêmement poignant de l’existence. C’est quelque chose de merveilleux dans le livre que je ne pourrais pas obtenir en faisant ce travail de flash back.
mots&sons_Laballadedel'Impossible_TranAnhHung_1mots&sons_Laballadedel'Impossible_TranAnhHung_2La langueur, la mélancolie naissent de ce jeu sur le temps, ralenti, parfois accéléré… Cette question du rythme semble essentielle dans votre approche. Les saisons sont marquées, on est dans des instants qui durent presque indéfiniment. Était-ce une volonté de faire durer ces instants ?
Oui, parce qu’il y a une forme de suspension dans le livre. C’est lié au fait que Watanabe découvre son premier amour et vit un moment exceptionnel avec Naoko. On s’imagine l’intensité des sentiments qui disparaissent immédiatement. Quelque part, sa vie est mise en suspens, il n’arrive pas à comprendre et le rythme de sa respiration a changé depuis qu’elle a disparu. Il fallait retranscrire à l’écran de manière purement physique, à la fois les impacts physiques et psychologiques. Je préfère perdre un peu le spectateur mais que celui-ci ressente mes films émotionnellement et physiquement, et pas seulement intellectuellement. Et ça n’est possible que parce qu’on travaille le matériau spécifique de cet art. Par exemple, à la fin du film, lorsque Watanabe fait l’amour avec Reiko, il lui rend sa sexualité et lui permet de recommencer une nouvelle vie. Après cette séquence d’amour, qui exprime un sentiment de réconciliation, on voit Watanabe debout dans un arbre, Naoko au pied de l’arbre et Reiko accroupie au bord de l’eau. En voyant cette séquence-là, on ressent une forme d’amitié supérieure qui naît entre les personnages : ils se réconcilient à la vie. Et ce sentiment-là, quelles que soient vos origines et votre sensibilité, même sans comprendre, vous le ressentirez à coup sûr. C’est dans ce sens que je parle de langage cinématographique. Mener une dissertation sur un thème, une histoire c’est facile, mais seul le travail spécifique sur le langage de l’art, sur l’expression, peut provoquer des choses aussi fortes et mystérieuses.
Ce qui peut surprendre, c’est la trivialité de certaines situations. Sans être forcément choqué, il y a quelque chose d’inédit au cinéma dans le propos très direct, notamment des personnages féminins, très volontaires, en ce qui concerne leurs intentions sexuelles.
Il faut que je sois fidèle à cette idée-là puisqu’elle émane du livre, elle est relative à l’histoire. Une adaptation se doit d’y ressembler, c’est comme faire un portrait, s’il ne ressemble pas à la personne, on est mal !
Vous avez travaillé avec Jonny Greenwood de Radiohead qui a livré une bande-son magistrale, notamment pour la scène de deuil.
Un moment absolument magnifique ! Moi je m’entête à dire que cette scène ne pourrait pas exister sans cette musique.
Comment la rencontre s’est-elle faite ?
Avec Jonny ? L’histoire est amusante ! J’ai vu évidemment 
There will be blood, et écouté la musique qu’il avait composée pour le film ; c’était quelque chose de nouveau à mes oreilles, il fallait que je travaille avec lui. Dans ce film, l’enjeu était de transmettre la beauté d’une forme de noirceur et seul Greenwood, pouvait le faire. Je n’utilise pas la musique pour créer une émotion, mais pour  renforcer celle-ci. Profitant d’un concert qu’il donnait à Tokyo, je l’ai rencontré et il a accepté de faire la musique pour le film. Quelques mois plus tard, il m’envoie un mot et il me dit que Thom Yorke voudrait retourner en studio pour enregistrer avec Radiohead. Il devait évidemment retourner à ce qu’il était initialement, c’est-à-dire un membre d’un groupe. Dépité mais tenace, j’ai commencé à tourner le film et au moment du montage, j’ai essayé la musique de There will be blood. J’ai alors repris contact avec lui en lui disant qu’il fallait absolument qu’il fasse la musique de mon film. Là, il me répond : « T’es complètement fou, qu’est-ce que cette musique d’Irlandais à avoir avec ton film japonais ? » Après lui avoir envoyé le film, il me propose un sextette de corde et me promet qu’il prendra le temps d’enregistrer quelque chose. J’ai immédiatement accepté. Mais après plusieurs essais, il me dit : « Oh non, là il faut carrément l’orchestre ! »
Parlez-nous de votre collaboration…
Le travail avec lui était d’une très grande simplicité. Techniquement, il m’a envoyé des extraits de sons qu’il avait enregistrés pour qu’on se mette d’accord sur la couleur sonore, la texture. Ensuite, il composait de son côté. Je ne voulais rien savoir, et découvrir la musique une fois qu’elle était enregistrée. Puis j’ai cherché à associer les images à la musique. Lors de la scène du deuil au bord de la mer, sa musique est absolument étonnante. Il faut être tellement humble pour accepter l’idée que les vagues viennent bouffer sa propre musique.
Dans cette bande-son, vous accordez une place particulière, à côté des Beatles et des Doors, au groupe allemand Can. Quelles sont les raisons de ce choix ?
C’est Greenwood ! Dans le livre, il y a beaucoup de références à la musique, mais elles n’ont pas le degré émotionnel de cette histoire. La seule musique qui transmettait cette émotion c’était celle  des Doors. Initialement, j’avais cinq ou six morceaux du groupe, puis Greenwood arrive et me propose d’aller voir du côté de Can, que je ne connaissais pas. En écoutant bien, c’était le son de ces années-là, mais en beaucoup plus moderne et en bien moins connu, ce qui a apporté plus d’authenticité à ce qui se passe entre les personnages. Je pense qu’en utilisant une musique trop connue, certains risquent de tomber dans la nostalgie.

Texte Emmanuel Abela / Photo Stéphanie Linsingh / Propos recueillis avec Stéphanie Linsingh et Gabrielle Awad, à l’occasion de l’avant-première du film Norwegian Wood (La Ballade de l’Impossible) au cinéma Star, à Strasbourg.

mercredi 18 mai 2011

L’Orient de l’âme


À l’évocation de Mozart, le visage de Waut Koeken s’illumine. Au détour des couloirs de l’OnR, le jeune metteur en scène de L’Enlèvement au Sérail partage son enthousiasme pour l’œuvre du compositeur autrichien. Un émerveillement immuable et contagieux qui culmine au moment de la présentation en avant-première de la scène.


Votre première production était La Flûte Enchantée de Mozart. Est-ce votre intérêt pour le compositeur qui vous a mené à la mise en scène de L’Enlèvement au Sérail ?
J’ai un amour immense pour Mozart, bien qu’au départ, lorsque je suis tombé en amour pour l’opéra, c’était plutôt Verdi et les romantiques qui m’intéressaient. Je ne connaissais pas très bien Mozart et je crois qu’à l’époque je ne le comprenais pas… Mais je me suis rendu compte plus tard que c’est du théâtre en musique, c’est un autre univers. J’adore Die Entführung aus dem Serail, mais je n’aurais pas choisi cet opéra moi-même. J’avais un peu peur parce que Mozart est très compliqué. Je doutais et me demandais si j’étais prêt pour cela. C’est Marc Clémeur, le directeur général de l’Opéra national du Rhin, qui m’a convaincu de le faire et j’en suis très heureux. Cela nous a permis de vraiment étudier cette partition.

Qu’est-ce qui rend Mozart si particulier, à vos yeux ?
Il y a quelque chose d’universel dans l’œuvre de Mozart… Par exemple, le texte utilisé pour le livret de L’Enlèvement au Sérail a été utilisé par d’autres compositeurs à l’époque, quatre ou cinq fois, et mis en musique. On ne connaît plus ni ces compositeurs, ni ces œuvres, parce que l’histoire est assez conventionnelle pour l’époque, mais Mozart l’a traité d’une manière inventive, à la fois extrêmement directe et sincère, sans artifice… Puis, il y a une profondeur qui transcende les paroles d’une manière incroyable. À chaque répétition, je peux découvrir de nouvelles choses que je n’avais jamais entendues auparavant. C’est fabuleux.

Dans L’Enlèvement, on retrouve les thèmes intemporels et universels que sont l’amour, la mort, la clémence et la fidélité.
Oui, en réalité, l’intrigue se déroule à n’importe quelle époque et partout. On a beaucoup réfléchi à une clef d’interprétation pour traiter l’Orient. Selon moi, le choc des civilisations ou la situation politique en Turquie n’était pas les thèmes principaux de cette œuvre. J’ai vraiment ressenti que, pour Mozart, cet Orient n’était presque qu’un prétexte pour pouvoir raconter sa propre histoire. Il ne met pas l’accent sur ce qu’il se passe, il se concentre sur les émotions et tente de pénétrer l’esprit des personnages. C’est presque comme si l’action était reléguée au second plan. Au XVIIIe siècle, il existait une réelle fascination, sinon une obsession, pour l’Orient. Ce thème était extrêmement populaire dans tous les arts, mais à l’époque, c’était un monde imaginaire. Les Occidentaux ne connaissaient pas directement ce monde. Il s’agissait donc toujours d’un endroit imaginaire de sensualité, de chaleur et d’étrangeté, qui permettait aux artistes de raconter une histoire et de créer une sorte de miroir de notre société.

D’où les miroirs dans la mise en scène !
Exactement, mais j’espère que c’est assez subtil, on n’a pas voulu que cela soit le thème principal de l’esthétique. Ils nous permettent de traiter l’Orient comme une métaphore poétique, ils représentent le miroir de notre monde occidental, mais aussi la dualité des personnages. Il y a plusieurs instants où les amants sont face à face, et où ils se demandent d’une part s’ils sont des étrangers pour eux-mêmes, et d’autre part si l’autre est un étranger. Ce thème de l’étranger se retrouve partout dans cet ouvrage et il ne s’agit pas seulement d’un contraste entre l’Orient et l’Occident. On essaie de montrer des amants qui sont désorientés, qui errent dans une sorte de labyrinthe intérieur, un labyrinthe de l’âme.

Du coup, comment réussissez-vous à suggérer l’Orient, que vous aviez déjà présenté dans Aladin la saison passée, sans tomber dans la caricature ?
C’était notre challenge. Nous ne trouvions pas intéressant de présenter l’Orient comme une sorte de conte de fée naïf ou de faire une sorte d’analyse en termes politiques et culturels de la confrontation entre Occident et Orient. Je n’ai pas trouvé assez de motivation dans les textes ou dans la musique… Cette musique turque de Mozart était d’ailleurs inspirée par Gluck, et non par les vrais musiciens turcs. On a parfois l’impression que ce sont des citations. On trouve la musique turque dans l’ouverture et dans quelques scènes avec Osmin, mais pour le reste, il s’agit bien de Mozart. Ce qu’il fait et qui le rend révolutionnaire, c’est qu’il crée une réelle dramaturgie musicale intérieure. C’est presque un théâtre interne. On a donc essayé de trouver un concept qui présente l’Orient comme une sorte de fantasme. Le décor a un point de départ assez concret : on part de l’intimité d’une chambre, qui va par la suite se diluer dans la fantaisie. Il y a quelque chose de menaçant là-dedans. À partir de ce point de départ, le décor va, en utilisant les mêmes éléments, devenir de plus en plus poétique, afin de laisser respirer la musique et de permettre au public de vraiment se concentrer, non sur un contexte pseudo arabe, mais sur les émotions. Il s’agit surtout des émotions de Konstanze, qui vit une vraie bataille intérieure, quand elle découvre qu’elle est en réalité amoureuse de deux hommes en même temps – pour l’époque, je pense que c’était assez révolutionnaire de montrer quelque chose comme cela et d’en faire une analyse profonde, comme l’a fait Mozart. On a essayé de créer un Orient avec des éléments occidentaux du XVIIIe siècle, tel un monde où on ne distinguerait plus rêve et réalité.

Die Entführung aus dem Serail (L’Enlèvement au Sérail) 
opéra les 11, 13, 15, 17, 19 et 21 mai, à l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg 
et les 29, 31 mai et 2 juin, à La Sinne, à Mulhouse

Texte & photo Stéphanie Linsingh
A lire dans le magazine NOVO n°14

La frontière d’un ailleurs

En ce printemps 2011, Clément Cogitore est incontournable : décoré par le ministre de la culture du Grand Prix du salon d’art contemporain de Montrouge, il voit l’un de ses courts métrages sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. À l’occasion de la sortie de son premier DVD monographique chez Écart Production, nous échangeons cinéma avec cet artiste pluriel.


Dans tes films, on traverse des espaces aussi bien géographiques, physiques que mentaux. La notion de passage est-elle contenue dans le dispositif filmique lui-même, notamment au niveau du montage ?
Je crois que ça fait partie d’un langage assez spontané. Rétrospectivement, tu te rends compte de la manière dont tu as abordé la chose. Mais pour moi la scène de la rave party dans Parmi nous est symptomatique de ce que j’essaie de raconter : plus que l’espace lui même c’est le passage d’un espace à un autre qui importe. Spécifiquement, c’est en tournant cette scène que je me suis rendu compte que ce n’était pas la scène elle-même qui m’intéressait, mais plutôt comment on y arrivait et comment on en sortait. Les clandestins dans le film circulent sur une trajectoire qui, tout d’un coup, est perturbée parce que d’autres personnes l’empruntent elles aussi. En général, quand on parle de la situation des clandestins en Occident, on parle de flux, de flux migratoire. Là, le flux, ce n’est plus eux. Ils sont pris dans un autre flux qui est celui des “raveurs” ou des voyageurs. Du coup j’inverse les signes : je passe de la caméra à l’épaule à un dispositif plus statique, c’est-à-dire que je place Amin, le personnage principal, au milieu d’une foule qui le porte.

Avant d’accéder à la danse, il y a l’instant d’acquisition de ce nouvel espace indéterminé, nouveau et tout à fait inconnu. Contrairement à cela et ce que l’on a pu voir dans d’autres films te concernant, non seulement tu interroges la limite mais tu entraînes ton spectateur dans l’interrogation de cette limite.
Oui, complètement. En fait la question de la frontière dans le film n’est pas, en termes de récit ou d’enjeu dramatique classique, la frontière politique telle qu’on l’entend généralement. Au début, on s’attend à ce que le film raconte cette frontière-là mais il est très vite question d’autres frontières, qui souvent prennent la forme de micro frontières. Dans cette scène, Amin, le jeune clandestin, se rend compte qu’il a franchi une frontière mais à l’intérieur d’un même espace : cet espace qui lui était familier est soudain investi par d’autres gens. Ça n’est plus son espace, mais le leur ; il était seul, mais ne l’est plus. Les humanités se mêlent.

Ce qui est surprenant c’est qu’à une époque on s’attachait au réel, et toi, tu éprouves ce réel-là avec une approche qui accorde son importance au surnaturel. On tend à une forme de métaphysique. Le réel te sert de base vers un ailleurs…
Oui, pour reprendre l’exemple de cette scène, ce qui m’intéresse dans la manière d’appréhender le réel ce sont les formes rituelles qui transforment, voire transfigurent, ce réel. La musique par exemple, dans le cadre d’une rave party, fait partie de ces rituels. On rassemble des gens autour des enceintes dans un dispositif presque liturgique. Il y a une dimension collective, mais l’expérience reste solitaire. Dans le scénario, j’avais écrit que le personnage principal arrivait au milieu de gens « seuls ensemble ». Il me semble intéressant de chercher ce que la religion apportait autrefois pour un groupe ou une communauté, ce qui n’est aujourd’hui plus donné ou plus accepté, et de le trouver sous une autre forme. Ça me permet de maintenir un rapport à la célébration, au sacré ou à l’invisible. Le personnage lui, a cru vivre quelque chose de l’ordre du collectif, et finalement non. Le réveil est un peu triste, il ne sait s’il a vécu la situation ou s’il l’a simplement rêvée, et du coup se retrouve dans une forme de désenchantement, un sentiment que je prolonge jusqu’à la scène dans l’espace intérieur de la maison, dont on ne sait si elle fantasmée ou réelle, ou celle de la sortie aux flambeaux autour de ce corps qui revient. À la vision presque onirique j’oppose un retour brutal au réel et c’est justement ce qui m’intéresse : faire cohabiter des scènes qui, à partir d’éléments documentaires, basculent vers l’épopée ou le lyrisme, et nous conduisent à l’acceptation de l’inconnu ou de l’incompris, à la limite d’une frontière située là, et pas ailleurs.

Parmi nous – Clément Cogitore

Il y a des retours entre le réel et l’ailleurs, mais aussi des retours, visuellement j’entends, entre le présent et le passé. Le travail sur la lumière que tu mènes depuis quelques films avec Sylvain Verdet, ton chef opérateur, nous renvoie étonnamment au baroque.
Avec Sylvain on se connaît bien ; il y a un désir partagé d’images très plastiques, très carrées où la lumière joue un rôle assez fort. Sylvain est un vrai peintre de la lumière. J’aime le rapport entre cadre et figure, avec des cadres tirés au cordeau, assez rigides, dans un dispositif très solide, à l’intérieur duquel la figure, donc le corps, va se battre, résister. La question du hors-champ et la manière de faire surgir la figure dans le cadre, tout cela crée de la tension et j’aime beaucoup jouer là-dessus.

Tu t’attaches également au corps : le buste dans la scène de l’étang est d’une grande plasticité.
Oui, et pour moi il s’agit presque d’un travail de plasticien. Tout d’un coup on se retrouve dans un espace de champ / contre-champ entre un corps et un paysage à moitié hanté. On ne sait pas qui le traverse, mais on suppose quelque chose d’instable.

Le baroque insistait sur l’instantanéité d’un événement magnifié par la lumière. Toi, au contraire, tu joues sur une temporalité qui nous inscrit dans un passé qui dure.
Et en même temps, une des choses qui m’intéresse vraiment dans le baroque est qu’il s’agit d’une esthétique qui accepte que deux choses complètement contradictoires puissent cohabiter dans la même image. C’est une chose sur laquelle j’essaie de travailler aussi. Dans mes films j’essaie de ne jamais être dans une émotion unilatérale, il y a toujours une forme d’ambigüité, on ne sait jamais si on doit se réjouir ou si l’on doit s’effrayer de ce qui est en train de se passer. Les références visuelles au baroque sont finalement plus instinctives que composées. Quand je tourne la scène du retour du corps avec les flambeaux, je recrée une scène de Déposition dans les formes rituelles d’acceptation de la mort ou de la disparition, de la guérison ou du miracle, mais l’on n’est jamais ouvertement dans l’un ou dans l'autre. Je fais appel à ce rapport à l’action, au geste et à la manière de le représenter aussi.

Dans Parmi nous, on est saisi par le monologue de Khalifa Natour…
Oui, Khalifa Natour est un acteur incroyable. Il est bon de rappeler les conditions de sa présence sur le tournage. Pour cette scène, j’avais d’abord pensé à un autre acteur mais qui s’est cassé la jambe quelques jours avant le tournage. Il devenait donc impossible de tourner. Je rentre en catastrophe à Paris, où l’on me fait rencontrer des comédiens qui savent qu’ils sont appelés en remplacement ; j’avais le sentiment d’être dans l’impasse. Mon producteur m’interroge sur un nom et je lui donne celui de Khalifa Natour, un des comédiens principaux de Peter Brook, qui a joué chez Amos Gitaï, travaillé avec Mahmud Darwich... On l’imaginait inabordable, mais comme nous avons réussi à obtenir son contact à Londres nous faisons le pari de l’appeler dans l'urgence pour lui parler du film : ma directrice de production lui propose un tournage débutant dans les quarante-huit heures, en Normandie, de nuit, pour à peu près le tiers de ce qu’il gagne d’habitude. Il nous demande simplement de lui envoyer ses scènes, ce qu’on s’empresse de faire dans la soirée à 22h. On le rappelle à minuit et là, il nous dit qu’il « adore », qu’il veut simplement me rencontrer avant d’accepter. Il n’avait que six jours off avant la première de la nouvelle pièce de Peter Brook au festival de Madrid, ce qui correspondait pile au temps du tournage pour son rôle. Le lendemain, je prends l’Eurostar, dans un état de trac et d’anxiété totale, et me retrouve deux heures plus tard en face de cet homme élégant, généreux et charismatique, à parler pendant six heures de théâtre, de littérature et de cinéma dans un pub près de Waterloo. Le surlendemain, il était là, devant ma caméra… J’ai compris ce jour là à quel point, le désir et la conviction étaient deux énergies qui pouvaient balayer tous les obstacles sur un tournage.

Bielutin - Dans le jardin du temps – Clément Cogitore

Un autre court métrage a été retenu à la Quinzaine des Réalisateurs, Bielutin – Dans le jardin du temps, l’histoire d’un couple russe qui entrepose chez lui des chefs-d’œuvre des grands maîtres de la peinture, Leonard de Vinci, Titien, Rubens...
J’avais entendu parler de cette histoire, mais je ne savais pas s’il s’agissait d’une légende urbaine ou pas, et si ces gens vivaient encore. J’en parle à Cédric Bonin de Seppia, qui me dit que ça valait le coup de faire quelques recherches. En cherchant, je suis tombé sur deux journalistes, la première à Moscou, la seconde à L’Express, qui m’en ont parlé. Elles étaient entrées dans l’appartement, et avaient pu y passer quelques heures. La collection aurait été protégée à l’époque de la Révolution et aurait traversé la Russie du XXe siècle, mais les journalistes ont mis à jour la vraie provenance de ces œuvres : le butin de l’Armée Rouge, après la Seconde Guerre mondiale.

Ça n’est pas ce que le couple raconte dans le film.
Non, justement, c’est un point de départ. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à jouer, entre le documentaire d’investigation et le roman russe. Au bout d’un an de coups de téléphone, d’envois de bouteilles de vin et de chocolat, j’arrive à les convaincre de me laisser entrer. Et là, je me retrouve dans une espèce de tombeau : un endroit qui n’a été aéré, ni lavé depuis près de trente ans, avec tous ces chefs d’œuvre de l’histoire de la peinture présents partout, du sol au plafond. Je me suis retrouvé plongé dans cet univers étrange, entre elle, avec sa drôle de perruque, et lui, qui manifestait une force presque brutale. Je me suis rapidement rendu compte que le projet de film qu’on avait autour de cela était impossible, mais qu’il y avait potentiellement un autre film à faire, plus délirant. En fait, j’ai pu constater qu’ils ne défendaient aucune des deux versions que j’évoquais – ils ne racontaient pas un mensonge pour protéger une histoire, ce qu’ils ont sans doute fait à la fin de la perestroïka, dans les années 90 –, mais qu’ils étaient complètement fous. Le mensonge qu’ils ont échafaudé autour de ces œuvres leur avait coupé tout lien au réel : ils emprisonnent des images, mais se retrouvent eux-mêmes prisonniers dans un monde parallèle. C’est précisément ce qui m’intéresse et ça me permet de débuter une collection autour des hommes et des images.

Tu as un autre projet, au Chili, pour alimenter cette collection.
Oui, le titre provisoire est Gardiens. Le long des grandes routes près de Santiago, des hommes vivent derrière des panneaux publicitaires. Ils sont payés par les multinationales pour protéger ces images publicitaires ; ils doivent empêcher les gens de voler des ampoules ou du métal. Ça nous donne une situation métaphorique de notre rapport à l’image marchande, qui devient un totem. Du coup, on obtient une sorte de diptyque : dans le premier, les hommes emprisonnent des images et dans le second ils sont eux-mêmes prisonniers des images.

Et dans le premier, on se pose la question de la conservation des œuvres dans cet appartement insalubre, alors que dans le second on recrute des hommes pour assurer la protection d’images publicitaires.
Oui, j’aimerais faire en sorte que mes films marchent par contraires : dans l’un tu ne vois pas la lumière du jour, tu n’as aucun rapport à l’extérieur ; dans l’autre, tu te retrouves dans un espace nu, avec un personnage qui a un rapport mystique au paysage. Il passe sa journée à regarder la cordillère des Andes face à lui, et un jour il y voit le visage de Dieu…

Ce qui intrigue dans chaque film, c’est la place que prend le silence. Nul besoin de dialogue, tout se ressent dans le silence.
J’ai un principe très simple : tant que quelque chose peut être communiqué hors de la parole, je ne fais pas appel à la parole. D’où des films principalement portés sur les gestes, les corps, les sensations. J’ai la certitude que le cinéma est un art sculptural, au sens soustractif du terme. De la même manière que tu enlèves toute la matière en trop sur un bloc de marbre pour parvenir à la forme sculpturale, quand tu construit un cadre, avant même de décider ce qui sera dans ce cadre, tu décides de ce qui n’y sera pas. C’est pareil pour le scénario : tu te saisis d'un bloc de temps en sachant à peu près ce qu’il va s’y passer, et tu enlèves tout ce qui te semble dispensable. L’aboutissement de cela étant bien sûr le montage où en examinant ce que tu as tourné, tu évacues tout ce qui est de trop, tout ce qui résiste au récit. Il y a une histoire que j’aime beaucoup : elle se passe pendant la Renaissance dans l’atelier de Donatello dans une rue de Florence. Tous les jours un enfant passe devant la fenêtre où on voit travailler l’artiste. Un jour, il le voit attaquer le bloc de marbre, une forme se dessine et au bout de quelques jours, l’enfant découvre alors le cheval que Donatello a sculpté. Ce jour-là, l’enfant entre dans l’atelier, et va à la rencontre du sculpteur : « Comment savais-tu que là-dedans, il y avait un cheval ? » Le cinéma est exactement cela pour moi : trouver, révéler cette forme vivante cachée à l’intérieur de la matière.

Festivals :

64ème festival international du film de Cannes 2011
Quinzaine des réalisateurs,
Sélection de Bielutin - Dans le jardin du temps
Production : Seppia / ARTE / MDR
Ce film, présenté dans La Lucarne d’Arte en 2012, sera complété d’une deuxième partie sous la forme d’un web documentaire et d’une enquête interactive produit par Seppia et Arte (webdocs.arte.tv)

Festival Indielisboa – 8ème Independent international film festival of Lisbon
Sélection de Visités en programme spécial

Programmation du travail vidéo à Madrid au Musée Reina Sofia, Musée national d’art moderne et contemporain, du 23 au 29 mai dans le cadre des Rencontres internationales Paris Berlin Madrid - Art contemporain et nouveau cinéma.

Projection avant-première :

Parmi Nous, le 7 juin 2011 au Gaumont Opéra, à Paris
Prod : Kazak Productions - France 2

Expositions :

56ème Salon de Montrouge, jusqu’au 1er Juin 2011
Panorama de la jeune création contemporaine
Commissariat : Stéphane Corréard

Texte Emmanuel Abela / Photo Stéphanie Linsingh / Interview menée avec Amandine Sacquin & Stéphanie Linsingh
A lire dans le magazine NOVO n°14

De la fulgurance de l'écriture

Derrière L’Homme de Trop et L’Horloge au Pays du Levant, recueils publiés par La Dernière Goutte, se dérobe Thierry Aué. À la terrasse d’un café, il nous parle avec flegme de son écriture laconique et de l’humour caustique qui imprègne chacun de ses textes brefs.

Après la musique, la photographie, vous vous lancez dans les textes courts. Est-ce une envie récente ?
J’ai commencé par écrire, pour moi. Je ne m’inquiétais pas si ça ne donnait rien de concret. J’ai toujours écrit ; le plus dur pour moi étant de ne pas écrire. J’ai fait de la musique et de la photo, mais depuis une dizaine d’année, je me consacre uniquement à l’écriture. J’aime la fulgurance des textes courts. Je commence toujours par écrire des textes longs et je sabre beaucoup. Je suis un réducteur de tête, en fait. J’essaie d’arriver au moment où je ne peux plus rien enlever. J’adore réviser, revenir constamment sur mes textes…

Dans le dernier recueil, un récit évoque un homme obnubilé par la symétrie. Dans votre processus d’écriture, y a-t-il aussi quelque chose de cet ordre là ?
Oui. Il faut qu’il y ait quelque chose de symétrique ; j’aime beaucoup la symétrie. Pour aimer le contraire de la symétrie, il faut d’abord aimer la symétrie. Pour pouvoir bouger des choses, il faut d’abord les mettre en place. Je les pose donc, et je ne les développe pas – au contraire de beaucoup d’écrivains, j’essaie plutôt de les réduire.

Quelle est la part d’autobiographie dans vos textes ?
Il n’y a rien de vraiment autobiographique. Cela dit, selon moi, les écrivains ne sont pas tout à fait clairs au niveau psychologique, sinon ils n’auraient pas besoin d’écrire. Ecrire, c’est quand même quelque chose d’assez louche. Ça demande du temps. Quelque fois, je m’observe et je me dis « tu es complètement bizarre de rester comme ça, douze heures par jour à écrire des choses que tu vas probablement effacer d’ici deux jours ». Pour moi, l’écrivain doit entrer dans l’observation des choses dans toute leur bizarrerie, leur complexité… S’il en fait matière à écriture, c’est qu’il y a forcément une question thérapeutique là-dessous.

A la lecture de vos textes, on a l’impression d’une écriture spontanée et ensuite retravaillée. Est-ce le cas ?
Oui, oui… Ça murit très lentement dans ma tête, puis ça part, ça gicle. C’est fulgurant. Et ensuite, il faut revenir, parce que je ne peux pas laisser les choses brutes, ça ne m’intéresse pas. Ceux qui prétendent faire de l’art brut se trompent. En réalité, l’art brut n’existe pas. Il n’y a rien de plus travaillé que ces petites constructions qui semblent fragiles et simplistes.


Il y a des métaphores surprenantes, comme celle qui compare des jambes à des quenelles dans de la sauce béchamel. Sont-elles spontanées ?
En général, je n’aime pas trop les métaphores, mais c’est vrai que celle-là… Il faut qu’elle soit un peu étonnante, et non trop bien léchée. Il y en a qui viennent spontanément et que je n’analyse pas. Elles dépendent de l’atmosphère que je désire donner à un texte.

Certains textes ont une musicalité importante, c’est sûrement en lien avec votre parcours de musicien ?
Stravinsky le disait pour la musique, je le dirais pour l’écriture : il faut que cela sonne ! Je peux écrire un mot parce que j’aime sa sonorité. Les métaphores un peu bizarres viennent peut-être des sonorités qui me conviennent… Quand j’ai le choix entre le sens et le son, je privilégie le son, au détriment du sens.

D’un recueil à l’autre, les textes passent de l’abstrait, voire de l’exercice de style, à l’intrigue…
Les textes très courts sont forcément plus formels : il faut vraiment ramasser les choses, aller à l’essentiel. Mais c’est vrai que lorsqu’ils sont plus longs,  il y a des personnages qui se mettent en place. Du coup, le style importe un peu moins. Moi, la plupart des romans, j’ai du mal à les lire. Quelquefois, je m’arrête à la page 20. Je me dis que si je vais plus loin, je vais m’ennuyer. Il y a beaucoup de romans qui mériteraient de s’arrêter à la page 20. Pas tous. Mais il paraît que les lecteurs aiment avoir le temps de rentrer dans une histoire…

A partir de quel moment considérez-vous que le texte est achevé ?
Raymond Carver, qui aimait aussi la révision de façon pathologique comme moi, disait qu’il savait qu’il avait fini de réviser un texte quand il enlevait la dernière virgule qu’il venait de rajouter, quand il remettait en place la dernière chose qu’il avait déplacé. C’est un peu comme ça pour moi : j’enlève un mot et quelque temps après, je me rends compte que je n’aurais pas dû et je le remets. Alors, je me dis qu’ainsi, mon texte est bon.

Beaucoup des textes reposent sur la chute, qui laisse le lecteur sur sa faim. Pourquoi ?
La chute, c’est une question très bizarre dans la littérature. On ne peut pas faire reposer un texte sur sa chute. C’est trop facile. Tout le texte est orienté vers la fin ; c’est la fin qui justifie les moyens. J’ai tendance à vouloir aussi faire une chute, pour mettre un point final et passer à autre chose ou pour contenter le lecteur. Mais non, il faut qu’il y ait une frustration parce qu’écrire cela vient d’une frustration qu’il faut communiquer avec le lecteur et non pas simplement le faire sourire facilement. Puis, j’aime quand ça continue : comme on ne sait pas ce qui se passe, on l’imagine, et ça continue en vous.

Dernières parutions : L’Homme de Trop et L’Horloge au Pays du Levant, aux éditions de La Dernière Goutte

Texte & photo Stéphanie Linsingh / Interview menée avec Gabrielle Awad
A lire dans le magazine NOVO n°14

Mogwai will never die

Pour leur dernier opus, les cinq garçons de Glasgow ont renoué avec le producteur de leur début, Paul Savage. Des retrouvailles entre vieux amis pour un nouveau souffle, plus accessible, mais toujours aussi intense... Rencontre avec Stuart Braithwaite, guitariste et leader de Mogwai.


Mogwai ne tient pas en place. Cinq mois à peine après la sortie de leur premier live Special Moves, le groupe écossais revient avec un nouvel album. Quand on lui pose la question de ces publications rapprochées, Stuart Braithwaite répond avec humilité que « sortir ce disque dans la foulée [leur] permet de rappeler aux gens [leur] existence ». Le titre, Hardcore Will Never Die But You Will, est une sorte de blague, des propos qu’un ami a un jour entendu lors d’une conversation houleuse. « Nous nous sommes dit que cela ferait un bon titre d’album, explique le guitariste en un sourire, c’est tout à fait en accord avec notre sens de l’humour ». Cette saugrenuité se retrouve d’ailleurs dans les titres des différents opus. Ils viennent de choses entendues, écrites, dites…

Ce qui change dans ce dernier disque, c’est le retour aux voix. Des voix au vocodeur qui donnent aux titres Mexican Grand Prix et George Square Thatcher Death Party une dimension plus accessible. À ceux qui regrettent cette approche plus pop, Stuart répond en riant : « Ils n’ont qu’à écouter nos anciens disques ». Parce qu’il se trouve dans la lignée de Tortoise et compose des morceaux essentiellement expérimentaux et musicaux, Mogwai est toujours décrit comme un groupe post-rock. Cela ne fait pas sens pour Stuart, qui répond de manière incisive : « Nous sommes un groupe de rock, comme Black Sabbath ou Joy Division ! »

Leurs premiers émois musicaux ? Des formations écossaises, dont Jesus And Mary Chains, Primal Scream, Teenage Fanclub et The Pastels. Mais des groupes comme Neu! et Kraftwerk font également partie de leur background musical. « Je pense que nous avons été obsédés par leurs disques pendant des années, il fallait bien que quelque chose en sorte ! » Ce quelque chose, c’est Mexican Grand Prix, une plage aux sonorités krautrock. Outre l’électricité, la pop et les guitares saturées, il y a aussi quelques bijoux de mélancolie sur ce Hardcore… Preuve supplémentaire en est la piste bonus, subtile et spacieuse. « Nous ne pensions pas que ce morceau, créé pour accompagner une installation artistique, sortirait un jour en tant que disque. Mais quand nous l’avons terminé, nous nous sommes dit que les gens aimeraient l’entendre ». Ils sont comme ça, les garçons de Mogwai : généreux. Et le succès leur importe peu. « Nous sommes déjà très heureux de notre popularité… si nous ne sommes pas largement diffusés à la radio, tant pis. » C’est d’ailleurs avec la même simplicité que Stuart raconte d’où sort le titre You’re Lionel Richie : « Je l’ai vu un jour à l’aéroport, j’avais la gueule de bois et je me suis exclamé face à lui : Vous êtes Lionel Richie ! C’était drôle… »

Dernier album : Hardcore Will Never Die, But You Will, Rock Action Records / PIAS

Texte & photo Stéphanie Linsingh
A lire dans le magazine NOVO n°14