jeudi 27 septembre 2012

Piano réarrangé

Bach, ce sont les fugues, les passions, la musique baroque, les lignes mélodiques qui se cumulent. Cage, c’est notamment 4'33'', ce fameux morceau composé de trois tacets et dont la seule musique est celle du silence, ou Etude australe dont la partition est basée sur des cartes stellaires. Réunir les deux compositeurs au sein d’un programme promet l’intrigue.


Francesco Tristano fait fi des frontières entre genres musicaux. Réduites à néant, elles permettent au jeune pianiste luxembourgeois de s’épanouir au sein des répertoires baroques, classiques, contemporains, jazz et électroniques. La convergence des univers des deux compositeurs n’a pas la provocation pour dessein. Pour Tristano, il existe un lien entre les œuvres de Jean-Sébastien Bach et celles de John Cage ; des éléments mélodiques, rythmiques et thématiques se font écho, selon lui. Il est vrai que l’on peut trouver des similitudes dans l’approche mathématique de la composition, mais aussi dans les instruments. Les pianos du XVIIIe siècle, sur lesquels jouait Bach, possédaient des sons changeants et de riches gammes de couleurs. Ils étaient même parfois dotés de mécanismes qui actionnaient clochettes et percussions. Cage, quant à lui, jouait sur des pianos dits « préparés ». Il insérait entre les cordes des boulons, des vis, des pièces de monnaie, pour modifier les sons émis. Pour bachCage, Francesco Tristano et Moritz von Oswald ont préféré travailler à postériori, en usant de l’informatique, de dispositifs électroniques et de machines analogiques. Sur les pièces de Bach, les sons ont été soumis à une amplification douce, tandis que l’ensemble du concert est traité en temps réel. Comme Tristano le dit lui-même, « il s’agît pratiquement d’une mise en scène acoustique et lumineuse de pièces de Bach et de Cage », dans laquelle les ruptures sont gommées au profit des similitudes.

 
bachCage,
concert le 3 octobre à l’Arsenal, à Metz

Texte Stéphanie Linsingh / Photos Aymeric Giraudel
  
A lire dans le magazine NOVO n°21

mardi 25 septembre 2012

Les sœurs infidèles

De prime abord, Così fan tutte n’est pas l’opéra le plus flatteur à l’égard de la gent féminine. Loin de là. Jadis, Mozart avait d’ailleurs heurté la bourgeoisie et ses fondements moraux. Mais on aurait tort de vouloir à nouveau édulcorer le livret de Lorenzo da Ponte.

« On a tout dit de la musique, je crois, lorsqu’on a dit qu’elle est de Mozart. » En 1790 déjà, le critique du Journal des Luxus und der Moden avait tout résumé. La partition de Così fan tutte déploie agilement une palette de sentiments, entre cynisme et sincérité, dévotion et errances, frivolité et tragédie. Franches, les notes sonnent vraies, même dans la mascarade. Et Mozart réussit à dépeindre la complexité des êtres, leur inconstance et leur fragilité avec une justesse inouïe.  L’histoire part d’un pari qu’un homme désabusé, Don Alfonso, lance à Ferrando et Guglielmo. Selon le vieux philosophe, la constance des femmes est comme le phénix arabe ; tout le monde y croit, mais personne ne l’a jamais vu. Les deux amoureux, sûrs de la fidélité de leurs amies misent cent sequins : les sœurs Fiordiligi et Dorabella font exceptions. Aidé de Despina, la femme de chambre des deux fiancées (pour qui il faut aimer par commodité, par vanité, puisque les hommes sont adultères), Don Alfonso échafaude son plan. Ferrando et Guglielmo doivent feindre de partir au front et revenir sous les traits de séducteurs albanais afin de faire chavirer les cœurs de Fiordiligi et Dorabella. Si au départ, les sœurs semblent d’une fidélité à toute épreuve, petit à petit la tromperie s’insinue… jusqu’à l’officialisation des unions volages. Enfin, puisqu’il le faut, les masques tombent. Ferrando et Guglielmo reprennent leur rôle – la farce ne les fait plus rire – et avouent l’imposture, les sœurs sont mortifiées (peut-être davantage d’être découvertes, que d’avoir été heureuses dans d’autres bras). Au final, l’aventure donne raison à Don Alfonso. « Così fan tutte » ; « Ainsi font-elles toutes ». Le jeu a dérapé, dépassé les protagonistes. L’école de la vie. L’école des amants. On apprend. Il y a d’autres valeurs, tout comme il y aura d’autres paris.


Così fan tutte,
opéra les 25, 27, 30 septembre et 2, 4 octobre à l’Opéra national de Lorraine, à Nancy

Texte Stéphanie Linsingh / Photo Marc Weeger

A lire dans le magazine NOVO n°21