mercredi 3 avril 2013

Les gardiennes de porcelaine

In The Upper Room est une combinaison de deux mondes, de deux esthétiques : celle de la danse moderne et celle du ballet classique. L’œuvre s’ouvre sur deux femmes, nimbées de fumée, pointes et chaussettes rouges aux pieds, rappelant les chiens de garde en porcelaine des temples chinois. Il n’y a pas de narration à proprement parler dans le ballet de Twyla Tharp, juste des suggestions. Eprise de l’œuvre, Stacy Caddell nous parle de son travail avec la chorégraphe dont elle remonte la création.



Dès les années 80, vous avez travaillé avec Twyla Tharp. Comment vos routes se sont-elles croisées et quelle relation avez-vous désormais ave elle ?
Nous nous sommes rencontrées lorsque j’étais au New York City Ballet. Jerome Robbins [ndlr. : le directeur adjoint et maître de ballet] l’avait invitée pour une collaboration autour du ballet Brahms/Handel. Ils ont créé beaucoup de variations très intéressantes sur ce thème. C’est à partir de cet instant que nous avons commencé à travailler ensemble. Quelques années plus tard, j’ai quitté le New York City Ballet et je suis allée travailler avec elle. Nous avons tourné avec Barychnikov, travaillé sur un film, réalisé différents projets… Bien que notre relation soit essentiellement professionnelle, je me sens très proche de Twyla. C’est une personne hors du commun.

Comment décririez-vous son travail et le vôtre ?
Son œuvre est difficile à décrire, tant elle a travaillé sur de multiples supports. Elle a conçu des chorégraphies pour la télévision et le cinéma, ainsi que pour la scène. Son travail est basé sur le processus ; chaque jour être au studio, créer, construire… Elle se voue entièrement à son art. C’est une personne très intéressante, incroyablement intelligente. Elle est fascinante. Quant à moi, je ne suis pas chorégraphe. J’ai créé quelques pièces, mais je ne me considère pas comme une chorégraphe. Je suis davantage une répétitrice, je monte des ballets. Quand quelqu’un souhaite programmer un ballet, il engage une personne de ma profession pour venir enseigner la chorégraphie aux danseurs et obtenir une production prête pour la scène.

Comment est-ce de remonter un ballet d’une personne avec qui on a étroitement collaboré ?
Au début, j’étais très nerveuse, je voulais juste faire les choses correctement. Mais Twyla m’a soutenue, me rappelant que j’avais travaillé avec Balanchine et Jerome Robbins et elle m’a encouragée à suivre mon instinct. Lorsque j’ai commencé la mise en scène, elle m’a guidée et m’a conseillé de relâcher le contrôle, de laisser expérimenter les danseurs. Pour moi, ça a été une grande étape de les laisser prendre possession de l’œuvre ; à un moment donné, il faut les laisser trouver leur voie. Elle m’a appris à diriger et elle continue à être un professeur et un guide pour moi.

Quelle est la chose la plus enthousiasmante dans In The Upper Room selon vous ?
Je pense sincèrement que ce ballet est un chef-d’œuvre. La chorégraphie est fantastique, la musique de Philipp Glass est merveilleuse, les costumes de Norma Kamali sont beaux, les lumières de Jennifer Tipton sont atmosphériques… La combinaison est parfaite ! Selon moi, c’est aussi extraordinaire de voir ce ballet que de le danser. Il dure 40 minutes et il y a tellement de niveaux physiques à franchir, qu’en tant que danseur, on ressent un sentiment d’accomplissement ; c’est comme courir un marathon et franchir la ligne d’arrivée. C’est merveilleux d’assister à cela en tant que membre du public.


(Un aperçu d'une prestation précédente ICI.)


In The Upper Room,
danse du 4 au 7 avril 2013 au Ballet de Lorraine, à Nancy

Texte Stéphanie Linsingh / Photo M. Rousseau

A lire dans le magazine NOVO n°24

(Né) cécité

Tchaïkovski, uniquement auteur d’œuvres instrumentales ? Détrompez-vous. On lui doit tout de même dix opéras, dont Iolanta, son petit dernier.  Une création atypique, vu le répertoire du compositeur, à (re)découvrir à l’Opéra national de Lorraine.


Peut-on avoir envie d'une chose dont on ignore l'existence ? Pourquoi la vue nous manquerait-elle si nous pensons qu'il n'existe que quatre sens ? Qu'est-ce qui nous pousserait à voir... si ce n'est l'amour. C'est l'histoire de Iolanta. Née aveugle et surprotégée par son roi de père ; la réalité étouffée et réinventée, où les yeux ne servent qu'à pleurer. Au sein du royaume, nul n'a le droit de mentionner la lumière, les couleurs ou la vision. Mais Iolanta ressent un vide inexplicable, exprimé au début de l’acte unique dans un arioso émouvant. Le roi René, espérant remédier à l’infirmité de sa fille fait appel à un guérisseur maure, Ibn-Hakia. Et celui-ci d’annoncer au souverain, en un arioso d’inspiration orientale, que pour recouvrer la vue, Iolanta doit prendre conscience de son handicap et désirer guérir. Le roi écarte cette suggestion : révéler sa cécité à Iolanta pourrait l’anéantir. Pourtant, lorsque l’amour naîtra entre elle et un certain comte Vaudémont, sur un thème délicat en sol majeur, cette certitude sera ébranlée… Mais qu’est-ce qui pourrait motiver la jeune fille à voir ? Et que deviendrait son monde ? Tchaïkovsky a composé cet opéra aux allures de conte simultanément avec le ballet « Casse-noisette ». Comme toute fable, Iolanta possède plusieurs niveaux de lecture, une morale universelle, un symbolisme psychanalytique, le reflet d’une réalité.



iolanta,

opéra le 30 avril et les 2, 5, 7 et 9 mai 2013 à l’Opéra national de Lorraine, à Nancy


Texte Stéphanie Linsingh / Photo Rifail Ajdarpasic

A lire dans le magazine NOVO n°24