jeudi 17 novembre 2011

Batmen


Le hasard fait bien les choses. En cette fin d’année, l’opérette La Chauve-Souris, adaptation du vaudeville Le Réveillon, sort de l’ombre, et plutôt deux fois qu’une ! L’occasion de s’entretenir tour à tour avec les metteurs en scène, contagieusement passionnés : Philipp Himmelmann pour l’Opéra national de Lorraine d’une part et Waut Koeken pour l’Opéra national du Rhin d’autre part.

Après L’Enlèvement au Sérail, on vous retrouve à nouveau à l’Opéra national du Rhin pour Die Fledermaus. Avez-vous une affection particulière pour la musique de Johann Strauss Fils ?
Waut Koeken (metteur en scène pour l’Opéra national du Rhin) : Oui et cette affection, cet amour même, a grandi en travaillant sur Die Fledermaus. Le génie de la pièce m’a vraiment touché. Strauss a écrit beaucoup d’opérettes, toutes assez chouettes, mais ce ne sont pas de grandes pièces de théâtre. Strauss lui-même a toujours dit qu’il n’était pas vraiment un homme de théâtre, mais plutôt un poète, un compositeur de musiques poétiques pour la danse. Selon moi, la plus grande réussite de Strauss dans Die Fledermaus est d’avoir fait de la valse la clé de sa dramaturgie.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous consacrer à cette opérette ?
Philipp Himmelmann (metteur en scène pour l’Opéra national de Lorraine) : L’ironie de la musique m’a beaucoup plu, mais c’est surtout le sujet de cette opérette qui m’a intéressé : Die Fledermaus reflète le contexte de crise économique de la fin du 19e siècle que l’on peut comparer à la situation que l’on connaît aujourd’hui. Nous tentons d’oublier les difficultés de la vie quotidienne liées à la crise économique ; il en est de même pour les personnages de Die Fledermaus. Ils essaient d’échapper à la réalité et tentent de s’amuser éternellement. Ainsi, ils vont de bal en bal pour oublier. Il y a une phrase qui m’a interpellée dans le texte et qui peut se traduire par « heureux est celui qui arrive à oublier ». Je trouve cela très actuel.

La Chauve-Souris à l'Opéra national de Lorraine (© Armin Bardel) 

Vu son caractère intemporel, avez-vous décidé d’ancrer l’histoire de nos jours ou avez-vous conservé le contexte authentique ?
W.K. : J’ai respecté le contexte authentique, sans pour autant être illustratif. Le scénographe, la costumière et moi avons décidé de ne pas transposer l’action en 2011, mais d’utiliser le contexte historique pour montrer qu’il y a quelque chose de beaucoup plus universel dans l’histoire et surtout à travers la musique.
P.H. : De nos jours, au Bal de l’Opéra de Vienne, on retrouve encore plus ou moins les mêmes costumes qu’à l’époque : les hommes portent une queue de pie et les dames de belles robes de bal. Presque rien n’a changé, mêmes les décorations sont assez similaires. Dès lors, dans l’opéra, on verra des costumes d’aujourd’hui comme au Bal de l’Opéra de Vienne, ce qui rend la pièce intemporelle et permet de se concentrer sur le thème essentiel de l’œuvre : comment désire-t-on mener sa vie ? Souhaite-t-on s’amuser éternellement, perdre le contact avec le réel et glisser jusqu’à l’enfer ? Ou est-on prêt à se confronter à la réalité ?

Les interprétations de l’identité de la chauve-souris varient selon les personnes. Le chorégraphe Roland Petit, dans son adaptation de l’œuvre en ballet, voit en elle le mari volage, d’autres y voient le Dr. Falke tirant les ficelles de sa vengeance. Qu’en est-il pour vous ?
P.H. : La chauve-souris vient du déguisement du Dr. Falke, humilié par Eisenstein et animé par la vengeance. C’est donc le symbole de la revanche, qui demande beaucoup d’énergie et au final, nous laisse vides et insatisfaits.
W.K. : Selon moi, il s’agit d’un symbole pour la folie, mais aussi pour l’échappatoire, le désir de chacun de fuir dans une sorte d’ivresse et de jeu de rôle où l’on peut assumer son identité.

Die Fledermaus à l'Opéra national du Rhin (© Jutta Missbach) 

Quels sont les thèmes que vous avez souhaité mettre en avant ? S’agit-il de la vengeance, des mœurs légères, de l’aspiration à la richesse ou à l’oubli ?
W.K. : Les deux grands thèmes de l’opérette sont, pour moi, le désir des personnages d’oublier la banalité de la vie quotidienne et le jeu de rôle que nous jouons tous dans la vie. Ces deux aspects sont mélangés chez Strauss d’une façon extrêmement touchante et intelligente. J’ai trouvé la clé de la production un jour où j’étais à Vienne. Dans la cour du Musée du Théâtre, il y a un mur sur lequel il est écrit une citation du comédien Riszard Cieslak qui dit : « nous jouons tous tant de rôles dans la vie qu’il suffirait d’arrêter de jouer pour faire un théâtre extraordinaire ».
P.H. : Il s’agit de chacun de ces aspects. Cette pièce parle surtout de la tendance à chercher le bonheur dans l’oubli, de la vengeance, mais aussi de l’amour et du besoin de flirter, de séduire, au détriment de l’amour profond. Pour moi, le couple Eisenstein-Rosalinde est désespérant car ils pourraient tous les deux être capables de vivre un bel amour, mais ils n’y arrivent pas à cause de leur instinct et de la situation dans laquelle ils évoluent au sein de cette fête éternelle qui, malgré son apparence heureuse, se révèle être l’enfer, comme le décrivait Sartre dans Huit clos. Ils sont tellement distraits qu’ils ne peuvent pas se concentrer sur la personne aimée.

Ces thèmes dictent donc l’atmosphère de votre mise en scène ?
P.H. : Oui, il y a l’atmosphère éternelle de la fête, du bal, et surtout des instants après minuit, lorsque les gens ne se contrôlent plus totalement. On y retrouve l’ambiance du Bal de l’Opéra de Vienne, mais aussi celle de l’enfer. Pour cet enfer, le diable et le feu ne sont pas nécessaires, il suffit juste des autres.

 Die Fledermaus à l'Opéra national du Rhin (© Jutta Missbach)

Quel était votre souci principal pour la mise en scène ?
W.K. : J’espère surtout avoir trouvé une certaine poésie car il y a plein de moments, notamment à la fin du deuxième acte, où il n’y a presque pas d’action théâtrale, mais seulement une pure poésie musicale qui tient l’action. Pour cela, on a essayé de créer une scénographie qui n’est pas trop réaliste, qui évoque plutôt que montre, où le sentiment d’être ivre de champagne, de musique et de danse domine. 


Die FLEDERMAUS (La Chauve-souris),

opéra les 10, 12, 17, 19, 26, 27 décembre à Strasbourg, les 18, 20, 23, 27, 29, 31 décembre à Nancy, les 4, 6, 8 janvier à Mulhouse et le 20 janvier à Colmar

Texte Stéphanie Linsingh / Photos Armin Bardel et Jutta Missbach
A lire dans le magazine NOVO n°17

Transie d’espoir


La petite mendiante d’Andersen craquera ses dernières allumettes à l’Arsenal, dans un crépitement de poésie. Loin de l’accablement ou de tout théâtre moral, la compagnie théâtrale L’Escabelle rend hommage au pouvoir de l’onirisme enfantin.


La petite marchande d’allumettes de ce siècle ne subit plus son destin, elle provoque l’imaginaire et tire la langue à la froideur et à l’avidité de notre monde. Elle brûle ses précieuses allumettes, son gagne-pain, afin d’assouvir un besoin tout aussi vital que celui de manger, boire ou avoir chaud : celui de rêver. Heidi Brouzeng, la conceptrice et interprète d’Une vendeuse d’allumettes nous confie que le conte d’Andersen l’a beaucoup touchée et fait écho à une histoire qu’on lui a rapportée : « On raconte que durant la seconde guerre mondiale, une famille juive se cachait et était très rationnée en nourriture. Cependant, tous les jours, le père prenait de la mie de pain pour en faire des marionnettes et inventer des histoires à ses enfants. J’y retrouve ce besoin très impérieux, évoqué dans le conte, de rêver, de s’extraire de la misère et de se projeter dans un monde plus beau ». Pour la compagnie théâtrale L’Escabelle, la vendeuse d’allumettes a les cheveux bleus et de grands yeux. Un clin d’œil aux mangas histoire de permettre aux enfants de s’identifier à elle de manière positive : elle est une héroïne et malgré le drame qu’elle vit, elle est pleine de vitalité et a une grande soif d’amusement. « Puis, en l’absence de texte, il fallait que la narration passe par d’autres médias », explique Heidi Brouzeng, « d’où ce référent manga, les allégories, l’atmosphère lumineuse et sonore, la chorégraphie qui accentue le dessin corporel déjà exagéré, grandi comme dans un théâtre masqué. » Tout est mis en œuvre pour rendre le personnage onirique. D’ailleurs, sur le masque que porte l’interprète, le trait le plus accentué n’est autre que le regard.


une vendeuse d’allumettes,
théâtre le 26 novembre à l’Arsenal, à Metz

Texte Stéphanie Linsingh / Photos Arnaud Hussenot Desenonges
A lire dans le magazine NOVO n°17