Los Santos Inocentes est un oxymore de fête et de douleur intimement
liées. Mapa Teatro nous livre la coutume de cette fête des Saint
Innocents ; un pan méconnu de la culture colombienne, qui nous a
extirpés de la réalité avignonnaise.
« Pourquoi m’as-tu fouettée si fort ? Mon caméscope n’est pas un masque. J’étais juste venue fêter mon anniversaire. — Parce que tu étais innocente. »
Célébrer son anniversaire en Colombie, durant le carnaval des Saint
Innocents, était l’envie d’Heidi, malgré les mises en garde de la
population locale. Dans les rues de Guapi, des hommes travestis en
femme, affublés de masques d’Halloween, fouettent les passants. Au
départ, cette fête faisant référence à l’extermination des nouveaux-nés
ordonnée par le roi Hérode (dans l’espoir que Jésus périsse parmi eux)
permettait aux esclaves venus d’Afrique d’inverser leur rôle avec celui
de leur maître, les costumes évoquant alors les épouses blanches.
Aujourd’hui, elle commémore les massacres perpétrés ces dernières années
en Colombie et rappelle que des innocents sont toujours victimes du
pouvoir en place.
Une voix résonne : « Il faut être d’ici pour ressentir le plaisir de la douleur ».
Sur l’écran placé au-dessus de la scène : les images capturées par
Heidi. La violence des coups de fouet assenés par les hommes aux figures
inquiétantes contraste avec la fête qui se donne sur les planches. Une
fête, telle qu’on se la représente plus facilement : ballons de
baudruche colorés, guirlandes par centaines, musique, vin et amis. Mais
au fil de la narration, le pénible descend sur scène. Les corps tombent
(malheureusement pas en rythme) et les coups de fouet, peu à peu
insoutenables, claquent sur le plancher. Puis, sur l’écran, apparaît le
compte rendu macabre de HH. Hebert Veloza, premier chef paramilitaire à
avouer ses crimes en échange d’une réduction de peine. Des noms, une
liste de morts interminable, défilent dans le noir. Glaçant. Mapa Teatro, la compagnie suisso-colombienne menée par Heidi et Rolf
Abderhalden se défend de faire un théâtre documentaire, engagé. Mais
pourtant…
Il y a quelques maladresses de la part des acteurs. Un jeu désincarné
les rend transparents, interchangeables. Mais cette lacune épouse
finalement le propos et image l’anonymat des victimes. On sort coi de
l’Auditorium du Grand Avignon – Le Pontet, comme souvent lorsque l’on a
l’impression d’avoir assisté de nos yeux au contenu d’un film
documentaire. Quand le réel semble prendre le pas sur la fiction, et la
vidéo sur la prestation scénique, on peut cependant se demander si le
film seul n’aurait pas suffi à nous sensibiliser à ce rituel
antinomique.
LOS SANTOS INOCENTES (MAPA TEATRO),
théâtre du 11 au 18 juillet, à l'Auditorium du Grand Avignon-Le Pontet, à l'occasion du Festival d'Avignon
Texte Stéphanie Linsingh / Photo Christophe Raynaud de Lage
Critique rédigée dans le cadre de la formation à la critique théâtrale mise sur pied par l’Université de Liège et le Théâtre de la Place. Retrouvez ce papier et celui des autres jeunes critiques sur le blog théâtre du Soir, tenu par le journaliste Jean-Marie Wynants : http://blog.lesoir.be/entractes/
Critique rédigée dans le cadre de la formation à la critique théâtrale mise sur pied par l’Université de Liège et le Théâtre de la Place. Retrouvez ce papier et celui des autres jeunes critiques sur le blog théâtre du Soir, tenu par le journaliste Jean-Marie Wynants : http://blog.lesoir.be/entractes/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire