Mikhaïl Boulgakov n’a pu publier Le Maître et Marguerite avant sa
mort. Joug stalinien oblige. Sa femme, peut-être sa Marguerite, s’en est
chargée. Et le metteur en scène, Simon McBurney, s’en est emparé pour
mettre sens dessus dessous la Cour d’Honneur d’Avignon.
Moscou, son plan et ses rues projetés sur le mur de la Cour d’Honneur
du Palais des Papes. Un dédale, comme celui de la trame du Maître et
Marguerite. Les époques et les lieux s’enchevêtrent, et les histoires,
par l’ubiquité et l’omniscience du diable, finissent toutes par être
liées. Ce diable qui se présente sous les traits de Woland. Soutane,
lunettes et béret noirs, dents en platine et or, accent allemand ; il
serait professeur et spécialiste en magie noire.
Premier récit : Union soviétique, années 30. Il s’immisce dans la
conversation de Mikhaïl Berlioz, éditeur d’une revue littéraire, et du
poète Ivan Bezdommy. Tous deux nient l’existence de Jésus Christ, Woland
sait qu’il en est autrement, puisque le diable sait tout. Il sait même
que Berlioz finira décapité par un tram ce soir-là. Deuxième histoire :
Ivan, à force de raconter que Woland est un espion, un assassin, ayant
déjeuné avec Kant et connu Ponce Pilate, échoue à l’asile psychiatrique.
Là, il rencontre le Maître, qui n’est autre que l’auteur d’un manuscrit
relatant les derniers jours de Jésus Christ. Troisième récit : celui de
la relation de compassion qui s’établit entre Jésus et Ponce Pilate. Et
quatrième récit : le Maître et Marguerite. Leur rencontre, leur amour,
l’admiration de Marguerite pour les mots du Maître, l’échec de son
manuscrit auprès des critiques de l’Etat totalitaire (comme l’a connu
Boulgakov), leur acte manqué et la descente aux enfers de Marguerite.
Cela paraît dense, étourdissant. Ça l’est. Mais tout s’imbrique à
merveille grâce à une mise en scène astucieuse et rythmée (notamment par
Chostakovitch et les Rolling Stones), à la pointe de la technologie et
laissant pourtant une grande place à l’imaginaire. Ainsi, si les
projections font apparaître un Palais des Papes en plein éboulement ou
une sensation de chute provoquée par un décor fuyant alors que le corps
de Marguerite reste statique, une fenêtre peut simplement être
représentée par un bâton. Et un tram par une cabine accolée à un
rectangle de lumière. La Cour d’Honneur est comme habillée des couleurs
qui lui siéent le mieux ; entre scénographie presque cinématographique
et peinture de Magritte. On peut regretter quelques sentiments de
longueur, peut-être inhérents aux conditions de visionnage. Le
surtitrage trop petit, le mistral glacial en fin de soirée… Mais il faut
reconnaître que ce chaos rendait la fantaisie, les fissures, le
tragique d’autant plus réalistes.
LE MAÎTRE ET MARGUERITE (DE MIKHAÏL BOULGAKOV, MISE EN SCENE DE SIMON McBURNEY),
théâtre du 7 au 16 juillet, dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes, à l'occasion du Festival d'Avignon
Texte Stéphanie Linsingh / Photo Gerard Julien (AFP)
Critique rédigée dans le cadre de la formation à la critique théâtrale mise sur pied par l’Université de Liège et le Théâtre de la Place. Retrouvez ce papier et celui des autres jeunes critiques sur le blog théâtre du Soir, tenu par le journaliste Jean-Marie Wynants : http://blog.lesoir.be/entractes/
Critique rédigée dans le cadre de la formation à la critique théâtrale mise sur pied par l’Université de Liège et le Théâtre de la Place. Retrouvez ce papier et celui des autres jeunes critiques sur le blog théâtre du Soir, tenu par le journaliste Jean-Marie Wynants : http://blog.lesoir.be/entractes/
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